« Et je suis parti, éternelle minorité, le dos soudain courbé et avec une habitude de sourire sur la lèvre, je suis parti, à jamais banni de la famille humaine, sangsue du pauvre monde et mauvais comme la gale, je suis parti sous les rires de la majorité satisfaite, braves gens qui s’aimaient de détester ensemble, niaisement communiant en un ennemi commun, l’étranger, je suis parti, gardant mon sourire, affreux sourire tremblé, sourire de la honte. »
Albert Cohen, Ô vous, frères humains.
Fred Kleinberg au cœur des ténèbres :
Au début des années 2000, à la Galerie Polad-Hardouin j’ai découvert et apprécié l’œuvre foudroyante de Fred Kleinberg. Il exposait alors ses toiles empreintes de force et de violence avec les fers de lance de la Nouvelle Figuration des années 1970 et des créateurs issus de l’Art Brut. C’est ensuite sur les recommandations du peintre (et nouvellement académicien) Hervé Di Rosa, que je suis allé visiter son atelier dans le quartier de Barbès à Paris. Derrière l’artiste, j’ai découvert alors un individu dont l’humanité, la générosité, l’engagement sans failles niflagorneries m’ont touché. Je suis heureux d’organiser à l’Espace Niemeyer une exposition de ses œuvres étroitement liées à la conscience historique dont elles témoignent.
Parcours de l’exposition
Cette vaste présentation dans le Hall de la classe ouvrière s’organise autour de plusieurs thématiques du peintre : la série Odyssée se déploie sur sept grands panneaux de quatre mètres sur deux mètres et rend compte de son travail dans les camps de réfugiés de Lesbos et de Calais.
Un dessin gigantesque de plus de dix-huit mètres l’accompagne dont les dimensions hors-normes se prêtent à une lecture exhaustive du parcours d’un artiste emprise avec l’histoire sociale, esthétique et politique de toute notre époque. Mais les témoignages de l’actualité ne se veulent pas uniquement anecdotiques et le peintre transpose des scènes prises sur le vif en des motifs parcellaires, des fragments épars qui constituent une recréation personnelle de faits réels et observés. La monumentalité de l’œuvre s’accompagne de l’acuité du graphisme : le gris, naturel au dessin, devient gris fer, gris anthracite, gris perle, gris souris, gris ardoise sombre, gris plombé de ciel d’orage et garde sa pleine valeur de couleur de la tristesse, du deuil, de la mort. La blessure sombre du trait de fusain contraste avec les nuances claires qui passent de la suavité du crème à l’éclat blessant du blanc presque pur. Cette vaste fresque, comme un ragtime déchiré, nous émeut par la profondeur de la douleur qu’elle suggère.
D’autres grandes toiles qui présentent des rivières, des forêts, rythment l’accrochage et nous interrogent de façon métaphorique : elles nous plongent dans un autre monde, celui du merveilleux de la nature et des éléments, celui de la sérénité, de l’intemporel… mais aussi remémorent un univers où l’on se cache, celui de la disparition et de la peur et évoquent en outre l’urgence climatique. Cette présentation de paysages adoucit pour un temps le sujet de l’exposition. La beauté de la nature, à la fois violente et calme devient le cadre privilégié pour une méditation lucide. On se sent apaisé par les grands arbres qui chatouillent le ciel, par l’eau frémissante de la rivière, par les pulsations cadencées de la lumière.
Dans l’espace sinueux de l’architecture d’Oscar Niemeyer, des figures héroïques de la série WeCan Be Heros dévoilent des personnalités combattantes : Geronimo, Louise Michèle, Joséphine Baker, Mohamed Ali, Victor Jara, Gisèle Halimi, Joe Strummer…
A ces figures de l’engagement fait écho la suite Red Situation :larges toiles aux tons carmin, corail et garance où dans son appartement de banlieue, un jeune homme seul, accablé, amorphe, semble un témoin impuissant face à la réalité qui l’entoure. Il s’interroge et nous interroge : que faire ? Comme en cage chez lui, c’est évidemment l’artiste dans son atelier d’Ivry, et c’est aussi chacun de nous, quand nous sommes simples spectateurs, indifférents, sans volonté d’agir dans ce monde post-Covid, marqué par les guerres à nos portes, les crises à répétitions d’ordres politique, social, économique, écologique et migratoire. Kleinberg explique : « Chaque œuvre a un titre qui renvoie au rouge, ce rouge qui est en Occident la première couleur maitrisée par l’homme. C’est probablement pourquoi elle est longtemps restée la couleur « par excellence », la plus riche du point de vue matériel, social, artistique, onirique et symbolique. Avec cette série, je vise un espace métaphysique où les frontières entre intérieur et extérieur sont ambigües. Cette mise en scène de l’urbanité et de l’isolement produit un méta-récitpost-moderne que les différents aspects liés à notre récente expérience du confinement ont accentué. Ces toiles sont aussi marquées par l’architecture brutaliste des années 1970 de Renée Gailhoustet et Jean Renaudie que je vois de mon atelier d’Ivry, en particulier ces constructions futuristes avec leurs fameux bâtiments en étoiles et leurs terrasses plantées. » Ces tableaux aux tonalités écarlates évoquent irrésistiblement le spleen de Baudelaire pour qui le rouge « cette couleur si obscure, si épaisse »forme un couple avec le noir : « rouge idéal (…) grande nuit » ;« nuit noire, rouge aurore » ; « néant vaste et noir (…) soleil noyé dans son sang ».
L’homme lion : romantisme et engagement
Lors de ma première visite chez Fred Kleinberg, je suis tombé en arrêt devant un grand tableau placé en hauteur dans le salon : un autoportrait où le peintre dans une barque, en pleine mer, les rames à la main, est accompagné d’un gros lion patibulaire. Le paradoxe de cette intimité insolite entre un moderne Noé, nouveauSaint Jérôme et le roi de la jungle m’a donné envie d’approfondir le travail de l’artiste. Cet homme seul en mer avec un fauve carnivore, cette promiscuité entre humanité et sauvagerie m’ont bouleversé. Devant cette œuvre étonnante, par son iconographie comme par sa facture, le nom de Delacroix m’est venu immédiatement à l’esprit. Comment ne pas penser à ces félins, lions, tigres, panthères que le maître allait peindre au Jardin des plantes avec son ami Géricault ? Comment ne pas penser à sa fameuse Barque de Dante où le poète florentin accompagné de Virgile vogue sur le Styx pour visiter les Enfers dans une embarcation fragile et fluctuante. C’est cette même imagination étonnante, ces mêmes mouvements fiévreux et tumultueux de la composition, des couleurs mouvantes, des coups de pinceaux visibles comme autant de coups de poing, cette matière ardente de la peinture, qui font le lien entre Fred Kleinberg et ses illustres prédécesseurs. L’approche esthétique est semblable, le résultat tout aussi remarquable. Romantique du XXIe siècle, il n’hésite pas à reprendre le cri de guerre lancé en son temps par Delacroix quand dans LesMassacres de Chios, il dénonçait la barbarie des Turcs de l’Empire ottoman face à la volonté d’indépendance et de liberté du peuple grec. Kleinberg a lui aussi décidé de transformer son pinceau en fusil pour dénoncer les injustices et les horreurs du monde.
L’historien de l’art Federico Zeri aimait à dire que l’on trouve des éléments avérés de critiques politique et sociale, un regard contestataire sur le système dans lequel les peintres travaillent, sur les gouvernants, les commanditaires, les grands décideurs et cela dans l’art occidental, même depuis la Renaissance, quand par exemple dans Une montée au calvaire, un Primitif flamand revêt les soldats romains de l’uniforme de l’occupant espagnol ! Kleinberg s’inscrit magistralement dans la vaste lignée des artistes engagés en donnant corps au drame toujours renouvelé de ceux qui n’ont plus rien.
Les Damnés de la mer :
Les sept grands diptyques de la série Odyssée nous confrontent à la réalité des camps migratoires de l’île de Lesbos en mer méditerranée jusqu’à la Jungle de Calais où l’artiste est parti pour vivre le quotidien de ces parias d’un nouveau genre et nous le donner à voir. Il en a tiré ces grands tableaux, témoignages dans lesquels il met en images un jeune homme derrière un grillage à Lesbos, le démantèlement du camp de Calais par les CRS, la cérémonie en hommage à l’attentat de Bruxelles du 22 mars 2016…, face à des visions mythologiques ou tirées de l’histoire et de l’histoire de l’art. Dans l’exposition chaque œuvre est accompagnée d’un habillage sonore écoutable par l’intermédiaire d’un QR code à télécharger sur son téléphone.Quand je demande à l’artiste comment est née cette série Odyssée il explique : « En 2015, comme beaucoup, j’ai été bouleversé par la terrible photo d’Alan Kurdi, ce petit garçon syrien de trois ans retrouvé noyé sur une plage de Bodrum. Avec ses parents, il fuyait la Turquie pour se réfugier en Grèce quand leur embarcation a chaviré. A la même époque, au large des côtes libyennes, c’est le naufrage d’un chalutier transportant près de 800 personnes avec seulement 28 rescapés… et ces drames continuent jusqu’à aujourd’hui. J’ai eu le sentiment que nos mémoires et nos consciences étaient saturées, cautérisées, bref devenues insensibles à ces récits et à ces visions, que la mort aux frontières de l’Europe constituait, depuis les années 1990, un phénomène récurrent, presque quotidien. Je me suis demandé comment mon medium, la peinture, pouvait aider à faire prendre conscience de ces événements tragiques. Indigné par l’incapacité des états européens à coordonner une réponse autre que répressive, je me suis rapproché de l’ONG Médecins du monde et avec le soutien du Fonds de dotation agnès b.,j’ai fait, à partir de 2016, plusieurs déplacements : en France, dans laJungle de Calais et à Grande-Synthe, dans les camps de réfugiés de Karatepe et, à Moria, dans l’île de Lesbos en Grece. Ma vie d’artiste s’est mesurée au monde de l’humanitaire. J’ai vu sur place le travail des ONG qui viennent au secours des embarcations en détresse : Médecins sans frontières, Save the Children et d’autres plus récentes comme MOAS, Sea-Eye, Sea-Watch, Proactiva Open Arms ou SOSMéditerranée… J’ai partagé le quotidien de tous et j’ai voulu agir dans ce mouvement global de solidarité basé sur la coopération active des citoyens pour venir en aide aux personnes exilées. Dans les camps, j’ai animé des ateliers de créations, écouté, enregistré. J’ai pris des photographies, dessiné, réalisé des interviews de migrants, de bénévoles, de responsables d’actions humanitaires pour constituer de la « matière » aussi bien pour mes tableaux que pour le travail de bande-son qui accompagne les œuvres réalisées par mon ami le musicien François-Régis Matuszenski. J’ai appris et tenté de comprendre. »
Dans un immense dessin au fusain l’artiste propose une véritable épopée sur le thème des déplacements des hommes préhistoriques jusqu’à aujourd’hui. Cette vaste composition pourrait servir d’illustration aux théories des anthropologues, géographes et démographes modernes et en particulier à celles d’Hervé Le Bras quand il précise dans L’âge desMigrations : « Les paléontologues estiment que Homo sapiens doit sa survie puis son succès à sa capacité à migrer, qui lui a permis de répondre aux glaciations et aux canicules des derniers cent mille ans. (…) Sur les 185 espèces de primates subsistantes, seul l’homme a un comportement migrateur. Homo sapiens n’est autre qu’un remarquable Homo migrant. »
Si on se réfère à la mythologie de la migration, il faut rappeler qu’elle s’adresse dès l’origine à l’homme qui cherche la connaissance. La première migration remonterait à Adam et Eve. Poussés par la curiosité (le serpent), ils pénètrent dans la zone défendue du Paradis où se trouvait l’arbre… « qui était bon à manger, agréable pour les yeux et désirable pour accéder à la connaissance… »… « Eve mangea de son fruit et en donna à son mari… leurs yeux s’ouvraient… et ils connurent le bien et le mal » ce qui leur valut l’expulsion, l’exil duParadis. La Bible dit textuellement qu’ « après avoir chassé l’homme et la femme du Paradis, Jehova mit, à l’Orient du jardin d’Eden, des chérubins auxailes enflammées qui surveillaient tous les côtés pour empêcher l’accès du chemin de l’arbre de vie. » Cette image surmoï que interdictrice de Jéhovah et ce modèle de châtiment mais aussi d’obstination pour accéder à un cadrefavorable à la véritable connaissance, se répètent dans les récits des mythes de Babel et d’Œdipe.
Dans le mythe de la tour de Babel, l’élan migratoire s’exprime dans le désir d’arriver au ciel pour parvenir à la connaissance d’un autre monde, distinct de celui qui est connu. Mais ce désir est puni par la confusion des langues et la destruction de la capacité de communication.
Avec Œdipe, ce sont plusieurs migrations qui se succèdent : la première l’a éloigné de ses parents réels pour éviter le funeste accomplissement de l’oracle ; une seconde l’amène à fuir volontairement ses parents (dont il ne sait pas qu’ils sont adoptifs) pour se diriger vers Thèbes, sa ville de naissance ; la troisième, c’est l’exil après le parricide et l’inceste. Ces mythes fournissent tous des énoncés qui aident à comprendre les difficultés qui se présentent à l’individu qui a abandonné sa terre d’origine. Dans toutes les migrations mythiques, nous trouvons la recherche de la connaissance, le désir de trouver un monde nouveau différent, mais toute migration, toute recherche implique déjà le risque d’un échec du projet.
L’anthropologue Michel Augier, dans son ouvrage La lutte des mobilités paru en 2019 précise : « Du point de vue des sciences sociales, le terme « migrant » ne veut d’abord rien dire d’autre que « personne en migration », sans connotation, ni positive ni négative. » Puis, peu à peu, le chercheur constate que ce terme a acquis un sens péjoratif parce que les« migrants » ont du mal à aller au bout de leur migration quand on ne les accueille pas, qu’on ne les intègre pas. Michel Agier ajoute :« Ces personnes en migration sont alors interrompues ou déviées dans leur mouvement ; leur errance les précarise et ils se trouvent finalement stigmatisés. Parler des migrants, n’est plus neutre, et il faut pratiquement s’en expliquer face aux polémiques publiques que le terme porte maintenant. »Quelles que soient les motivations familiales, politiques, pédagogiques, climatiques…, être un migrant au XXIe siècle n’est pas sans soulever une problématique psychologique particulière affectant la personne qui émigre ainsi que son entourage et se rattachant autant aux motivations de la migration qu’à ses conséquences. Cependant, entre les réflexions des penseurs et la vie des personnes, il semble nécessaire de faire une distinction capitale en rappelant l’étymologie du mot « migrant » comme le fait l’helléniste Andréa Marcolongo qui dit en substance que le mot comporte un sens indéfini de changement mais c’est un changement aucunement désiré avec sa charge bien précise de perte, d’abandon et de douleur. Aujourd’hui, Kleinberg parle de drames humains qui d’une certaine manière invisibilisent des femmes, des hommes, des enfants. Au moment où j’écris ce texte, tombe cette atroce nouvelle : « Ce 14 juin, tragique naufrage d’un chalutier vétuste transportant des centaines de migrants au large de la Grèce, plus de 78morts… Seules 104 personnes ont pu être secourues à ce jour, dont 47 Syriens,12 Pakistanais et 2 Palestiniens, selon un décompte par les autorités grecques… »
Il est vrai que la Méditerranée est une voie de transit et de circulation, un « espace-mouvement », comme la définissait Fernand Braudel mais depuis les années 2010 c’est aussi un cimetière quotidien. Camille Schmoll, géographe spécialiste des migrations souligne : « Les migrations dites « irrégulières » augmentent fortement dans cet espace maritime. La traversée, sur des embarcations douteuses et précaires, est devenue une source de profit tout autant qu’un enjeu politique. Les morts aux frontières n’ont pourtant rien d’une fatalité mais accompagnent le vaste mouvement répressif qui caractérise les politiques migratoires de ces dernières décennies. Ces politiques multiplient les obstacles sans toutefois parvenir à décourager hommes et femmes d’emprunter les routes de la migration, toujours plus dangereuses. Ainsi assiste-t-on au renforcement des moyens mis en œuvre pour lutter contre l’immigration dite« irrégulière » : accord de coopération avec les pays tiers en vue de faciliter le renvoi de migrants et d’externaliser le contrôle en amont des flux ; création par l’Union Européenne, en 2004, de l’agence Frontex, réformée en 2016. Depuis quelques années, ces politiques ont également pris une tournure maritime avec, par exemple, la criminalisation des sauvetages en mer opérés par les ONG et l’établissement d’une « zone de recherche et de secours » au large de la Lybie. Les conséquences en matière de décès et de violation des droits humains sont terribles. » Son collègue Nicolas Lamberta dressé une carte des décès des migrants aux frontières de l’Europe qui permet de rendre compte de l’hécatombe : depuis 1993, on dénombre plus de 50 000morts en Méditerranée. Cette triste géographie montre que la voie de laMéditerranée centrale (canal de Sicile) est la plus périlleuse en valeur absolue, totalisant plus de 20 000 décès entre 2014 et 2022 et en même temps que le nombre de morts dans la Manche ne cesse d’augmenter.
Pas un jour ne se passe sans que les chiffres abstraits des statistiques ne contredisent le joli nom de « mare nostrum ». Les images qui les illustrent parlent de clandestins, d’étrangers, d’anonymes et enlèvent à ces réfugiés leur part d’humanité. C’est ce que veut leur rendre Fred Kleinberg par ses œuvres à travers cette nouvelle Odyssée aussi périlleuse que celle d’Ulysse.L’artiste a été vivre au milieu de gens qui sont victimes parfois des éléments, trop souvent victimes d’autres hommes. Son témoignage s’appuie sur sa colère et sa réceptivité. Ses peintures résonnent des cris de révolte, de fureur, de rage, de tristesse, d’accablement, de mort et sont là aussi pour nous inciter à l’action, pour lutter contre l’apathie ou la violence produite par ce « drame contemporain et cosmique de l’humanité » pour citer ses propres mots.Tout ce qui a motivé son engagement, il peut légitimement le proclamer et dire après Rimbaud dans les Illuminations que de ses yeux il a assisté à des scènes où « il y a enfin, quand l’on a faim et soif, quelqu’un qui vous chasse. »
Le diptyque Charybde et Scylla, évoque le détroit de Sicile, de triste réputation depuis l’antiquité, qui continue d’«avaler » les navires et les naufragés. Dans la mythologie grecque, Charybde est un remous marin que l’on situe traditionnellement dans le détroit de Messine. Au Chant XII de L’Odyssée, Homère explique que c’est un monstre féminin, la fille de Poséidon et de Gaia qui absorbe l’eau de la mer et la rejette trois fois par jour. Aussi dangereuse, Scylla, la fille de Phorcys et d’Hécate se trouve sur la rive opposée. L’aède la présente pourvue de six têtes, dont chacune a un triple rang de dents, et douze pieds ! Elle se nourrit de poissons mais dévore aussi les marins lorsqu’un navire s’approche trop près comme les six compagnons d’Ulysse qu’elle entraîne dans la mort. En Français, l’expression « tomber de Charybde en Scylla » veut dire aller de mal en pis. Sa traduction anglaise est tout aussi brutale, quand de façon imagée, elle évoque le monde culinaire : « To fall out from the frying pan into the fire »(tomber de la poêle à frire dans le feu). C’est dans cette continuité et ces conséquences impitoyables que se situe le roman de Davide Enia La Loi de la mer publié en 2017. Il y raconte l’expérience d’un père et son fils qui regardent le drame qui se déroule dans l’immensité de laMéditerranée, à Lampedusa, cette véritable « île frontière » où se concrétise le mal-être d’apatrides sans foyers parqués dans des camps, victimes de drames multiples et de naufrages. A un moment donné du texte un pêcheur explique :«Tu sais quel poisson est revenu ? Le loup de mer. (…) Et tu sais pourquoi les loups repeuplent la mer ? Tu sais ce qu’ils mangent ? Tu m’as compris…»
Le tableau de Kleinberg présente d’un côté Ulysse en plein combat avec un monstre marin, étrange dragon qui veut l’enlacer pour mieux l’étouffer. Au maelström de la mer verte et écumante répond le terrible tourbillon serpentin de l’affrontement entre « l’homme aux mille ruses » et Scylla. Le volet qui fait pendant à ce conflit en dénonce un autre, comme si nous passions de Scylla en Charybde : dans une ville riche comme Paris le peintre donne à voir un campement insolite avec des familles, des femmes, des enfants, des malades… Cette vision est une piqûre de rappel : un premier camp est apparu en 2015 sur le quai d’Austerlitz, puis d’autres petits campements se sont installés le long du canal Saint-Martin. Celui représenté dans la toile se trouvait sous le métro aérien à la station Stalingrad, pas très loin de l’atelier du peintre. Il abritait plus de 3800 personnes et sera démantelé en novembre 2016 pour se reconstituer alors à la Porte de la Chapelle et être démantelé à son tour. Désormais exclus de Paris, les campements se retrouvent principalement dans la première couronne de la ville, à Aubervilliers ou à Saint-Denis.
L’œuvre évoque aussi l’évacuation violente de3000 personnes du campement de la place de la Porte-de-Paris à Saint Denis en novembre 2020. Suivis par la police pendant plusieurs jours, les réfugiés étaient dans l’interdiction de s’asseoir ou de s’arrêter : ils trouveront finalement refuge place de la République avant d’être délogés à nouveau. Aujourd’hui des camps de mineurs non accompagnés s’organisent, comme celui d’Ivry-sur-Seine qui recueille 450 jeunes fin 2022. C’est à la suite de l’occupation symbolique de la place du Palais Royal à Paris au début de décembre2022, qu’on va leur trouver une solution temporaire.
En résonance avec ces visions tragiques, pour s’accorder avec toute cette barbarie, l’artiste ne se lasse pas de multiplier grattages, griffures, grandes balafres dans ses empâtements de matière qui semblent participer au drame des situations. C’est surtout l’image d’un combat que met en avant ce diptyque, le combat d’êtres humains contre la destinée, contre l’inégalité, contre les éléments. Il se dégage de ces panneaux émouvants une « puissance de vue » pour citer Brecht, lui qui n’hésitait pas à dire : « Le désordre du monde, voilà le sujet de l’art. »
Au lieu de questions ressassées : « qui sont-ils, que veulent-ils, où vont-ils ? », Kleinberg nous incite à prendre en compte la demande de ses « frères humains » prêts à tout pour « passer, passer quoi qu’il en coûte. Plutôt crever que ne pas passer. Passer pour ne pas mourir dans ce territoire maudit et dans sa guerre civile. Avoir fui, avoir tout perdu. »Et avec lui, attristons-nous en constatant que : « là où vous avez fui les murs clos des caves bombardées, vous avez trouvé une frontière close et des barbelés… » Ce sont là des paroles extraites du film Des spectres hantent l’Europe de l’écrivaine grecque Niki Giannari commentées par le philosophe et historien de l’art Georges Didi-Huberman. Ainsi beaucoup d’artistes comme Fred Kleinberg admirent le courage et la ténacité de ces personnes qui persévèrent « avec un désir que rien ne peut vaincre, ni l’exil, ni l’enfermement, ni la mort. »
Un autre tableau, Lesbos, fait se confronter deux images fortes et chargées. D’un côté, en camaïeux de bleus, la reprise du Déluge, le chef d’œuvre pompier de 1872 de Léon-François Commère conservé au Musée deNantes et de l’autre un amas de gilets de sauvetage polychromes. Le premier panneau, la vision monumentale du Déluge avec ces amas de chairs nues, n’est pas sans rappeler la composition du Radeau de la Méduse de Géricault. Comme toujours,Kleinberg tire de ses sources classiques des règles pour un art vivant, expressif et singulier. Preuve de son éclectisme dans l’inspiration, il a le don d’utiliser des éléments de styles et d’époques lointaines pour donner vie à ses idées dans ses tableaux. La mise en œuvre originale d’éléments anciens mène à une vision des thèmes complètement renouvelée. Cette variation sur LeDéluge permet un morceau de fougue et de bravoure par la hardiesse du mouvement, la solidité de la composition, le lumineux des coloris. Le plan pyramidal de la composition et l’énergie de la construction en triangle soulignent la répartition plastique des personnages et des animaux collés les uns aux autres, charnier pathétique de corps mêlés qui sont comme dans un bas-relief de sarcophage gréco-romain. Le peintre comme souvent semble un sculpteur détourné de son destin !
L’utilisation des variations du bleu jusqu’au blanc, la stridence et la virulence glaçante de ce contraste coloré donnent l’impression que les protagonistes sont congelés, que le cataclysme se passe sur la banquise. En plus du rappel de la damnation divine, c’est la conscience du changement climatique qui semble s’ajouter ici. La couleur est empâtée par couches épaisses car Kleinberg aime peindre ferme et gras, le coup de brosse est toujours savoureux.
Dans le pendant de ce diptyque, les corps ont disparu et seuls restent échoués sur la grève, entre les dunes, des amoncellements de gilets de sauvetage, pneus, rondins de bois… tout ce qui pourrait permettre à l’homme de flotter, de survivre. Ici encore, une impression de masse géométrique compacte s’impose, mais au triangle du Déluge répond un cercle qui évoque une bouée qui malheureusement n’a servi à rien. Le côté malléable de cette forme est à l’image des gilets gonflables devenus comme souples, flexibles, plastiques et moelleux. Si certains sont bleus, c’est surtout les couleurs orange, signes de détresse, qui éclatent à la surface du tableau. Ce qui frappe aussi c’est cette multitude d’orifices noirs, béants, pour laisser passer des bras, des têtes, des corps et qui semblent comme trouer la toile. Si la surface est remplie totalement, c’est quand même le vide et l’absence qui planent.
Le trait est stylisé et décontracté, comme inspiré par la B.D.. De la même façon explicitement contemporaine, à l’image d’un Philip Guston, Kleinberg semble vouloir renoncer aux moyens de séduction de la peinture pour un style violent, volontairement simpliste, qu’on pourrait traiter de grossier. Pour être crédible, plus de « beaux »tableaux ! Pour pouvoir raconter des histoires, de la« mauvaise » peinture » ! Pour faire intervenir la violence, l’ironie, la politique, le grotesque, une peinture proche de la caricature. Dans une sorte de rappel classique, pour unifier l’œuvre, les arrière-plans des deux volets se répondent dans des arabesques qui dessinent d’un côté des vagues glacées et de l’autre des dunes noyées de soleil, toutes deux surmontées de la même forme impassible des nuages.
Europa met en scène deux personnages monumentaux : la représentation d’une sculpture en marbre blanc du dieu de la mer, reconnaissable à sa longue barbe et à son trident et celle d’un Africain, le visage et les mains collés à un grillage. Poséidon, la tête orientée vers le bleu du ciel comme pour n’entendre aucun appel au secours, les yeux vides, reste impassible et se détourne du jeune homme. A la froideur du marbre sculpté correspond le dédain méprisant du maître des océans. En vis-à-vis, c’est un « jeune », bien de notre époque, avec un t-shirt où est inscrit le mot « Tough » pour« Tough guy » ou dur à cuire. Comme un poisson pris au piège dans le filet d’un pêcheur, il est enfermé dans la prison de résille brillante dans laquelle son expédition l’a conduit. Nouvel Ulysse de couleur, il cherche une réponse à sa situation d’animal traqué. Dans la légende homérique Poseidon est l’ennemi d’Ulysse qui a osé le défier en aveuglant son fils, le cyclope Polyphème et en prétendant s’appeler « Personne ». Personne, ce peut être le nom de ce pauvre gamin réduit au numéro « 2016 »inscrit sur son t-shirt. Planté derrière ces terribles barbelés, les yeux écarquillés dans le vide, il scrute perpétuellement la mer ionienne.
Kleinberg explique : « Pour cette série, j’ai choisi une forme de bichromie, avec des camaïeux de tonalités pour les tableaux évoquant l’histoire de l’art, la mythologie, notre culture collective.Ils sont présentés en dialogue avec d’autres tableaux inspirés par des images d’actualités, ceux-là traités en polychromie. » Toute la série Odyssée semble plongée dans un grand bain bleu… Le bleu de la mer et de la mort ! Cette couleur ouvre à une foule d’interprétations : avoir une peur bleue, n’y voir que du bleu… En Allemand « être bleu » signifie être saoul ! Ce n’est pas le bleu infini de l’azur, le bleu éternel et spirituel d’Yves Klein ; pas non plus celui du titre d’un tableau deMiro : « Le bleu est la couleur de nos rêves »… Cette couleur froide -tout le contraire du rouge- est traditionnellement l’expression symbolique de la majesté, de la divinité, de la tendresse… Chez Kleinberg, le bleu se rapproche de celui de Jacques Monory : un bleu glaçant qui nous met à l’écart, un « bleu-écran » qui permet d’appréhender le réel avec détachement, le bleu du cauchemar qui signifie que tout va mal, alors que son aspect virginal prétend que tout baigne dans l’azur ! Ce bleu entêtant c’est le bleu de la mélancolie et de la disparition des naufragés.
Une sentinelle du combat face à la crise del’ accueil
L’engagement humaniste de Fred Kleinberg transcende son inspiration quand en 2016 il est parti dans « la Jungle »de Calais. Là, plus de 10 000 personnes se tassaient dans ce vaste bidonville installé sur un terrain insalubre à quelques kilomètres de l’entrée du tunnel sous la manche.
Le chant d’Amar, Mossoul, reprend une gravure fantastique deGustave Doré, le frontispice de l’édition illustrée de la Bible qui présente une vision catastrophique de l’histoire de l’Arche de Noé. Kleinberg reste très fidèle à l’œuvre originale avec des bras qui sortent de l’eau pour demander du secours, un couple qui hisse ses enfants sur un rocher battu par les flots que des vagues écumantes et crémeuses fracassent. Une tigresse majestueuse domine la scène et tente elle-aussi, désespérément, de sauver sa progéniture, un de ses bébés dans la gueule pour éviter qu’il soit emporté par les roulis houleux des lames déchainées. Le drame est rendu par l’utilisation sur un fond havane presque noir de tons marron et sépia qui font ressortir la blancheur des chairs et de l’écume. L’ébullition de la mer indifférente, vivante et joyeuse unit les corps pour mieux les engloutir. A ce chaos apocalyptique marqué par des tons bistre, goudronneux qui varient du jaune au brun foncé répond sur l’autre volet un paysage de bout du monde. Au premier plan à droite, la forme d’un rocher, quelques mauvaises herbes qui poussent ça-et-là et derrière un campement de tentes azuréennes ; à l’horizon, les tours d’une ville, les toits grisâtres des maisons. En plein milieu, un homme seul, nous toise de son regard tourmenté.Il est assis sur une chaise de camping au tissu rayé comme les barreaux d’une prison et enserre de sa main gauche son téléphone cellulaire. Nous sommes là dans ce que les médias ont lugubrement nommé « la Jungle » de Calais.
L’union des deux panneaux se fait de manière stylistique et intellectuelle par la réutilisation de la couleur bistre des habits du personnage central en harmonie avec celle du fauve ainsi que par les sentiments sous-entendus par leurs gestes : l’homme veut donner et prendre des nouvelles de ceux qu’il aime ; l’animal veut sauver ses petits. Chacun avec la même tendresse et le même espoir essaie de sortir de cette situation infernale et périlleuse.
Quand on écoute la bande-son qui complète le tableau, - une interview du personnage central réalisée par l’artiste et réorchestrée par François-Régis Matuszenski - , on apprend qu’Amar, c’est son prénom, vient de Mossoul, qu’il avait gagné en Irak un concours de chant comparable à The Voice. Mais avec l’arrivée de l’Etat Islamique, il a dû fuir son pays et abandonner sa famille. Il improvise en Français de sa belle voix avec des intonations arabes « Habibi, j’aime la vie…» Quand il apprendra quelques jours plus tard que sa compagne, son amour, a été emprisonnée et tuée par l’E.I. il mettra fin à ses jours avant même d’essayer de rejoindre l’Angleterre. Il continue de chanter dans nos mémoires: « J’aime la vie,…mais pas comme ça. »
Les œuvres se succèdent et le drame continue avec une même propension à l’indignation. Sous le ciel de Calais on assiste au démantèlement du camp par les CRS sous le regard d’Andrieu d’Andres, un des célèbres personnages des Bourgeois de Calais de Rodin. La tête dans les mains, il figure magistralement un désespoir sans recours. Dans une autre toile, c’est le feu qui décime le campement : les volutes des flammes rouges et orange mêlées aux nuages blafards des fumées étouffantes provoquent une suffocation intense pour le personnage central du tableau autant que pour les spectateurs.
Le 26 mars 2016 montre la solidarité de ces réfugiés avec les victimes des sinistres attentats commis à Bruxelles. Comme le rappelle l’historien de l’art Itzhak Goldberg : « On pense inévitablement à l’Enterrement à Ornans, ce tableau monumental de Courbet, qui transforme un sujet banal en une peinture d’histoire grâce à la taille de l’œuvre, au nombre important de figures humaines réunies et serrées les unes contre les autres, à la présence de la mort (…) ou encore en raison de l’aspect inexpressif des personnages. Pourtant, un point essentiel sépare ces deux scènes. A Ornans, village jurassien, lieu de naissance de Courbet, les paysans, solidement campés dans un cadre montagneux, sont chez eux. A Calais, ce sont des déracinés réunis par un destin tragique. Ces êtres, qui se voient dans l’obligation de quitter leur maison et d’entrer dans une spirale interminable, sont des habitants de passage d’un lieu éphémère. » Toutes les communautés, toutes les religions sont présentes et si les protagonistes semblent anonymes c’est pour que nous puissions encore mieux nous identifier à eux dans cette funeste cérémonie. A l’aide de simples sacs de couchage, de couvertures colorées, ils ont composé un drapeau belge de fortune. Mais comme dans une scène macabre, ces tissus ondoient comme s’ils recouvraient des cadavres.
A tous ces humains rendus anonymes, FredKleinberg redonne présence et dignité. En faisant d’eux les sujets de ses peintures, il leur restitue leur humanité perdue, les rend visibles aux yeux du monde. Sa démarche artistique lui permet de se dégager du voyeurisme médiatique. Une première approche du réel se fait de façon directe comme celle d’un reporter : documentations, prises de photos, enregistrements sonores, tournages de vidéo… L’ artiste, comme un témoin, réagit à chaud. Dans une deuxième étape, il prend à l’atelier le temps de la réflexion. C’est comme cela qu’il commence à pénétrer dans ce qu’on appelle l’histoire, celle qui ne se fait pas tous les jours mais commence à se faire avec les commentaires réfléchis. Il touche alors à la tradition de la grande peinture, la peinture d’Histoire. Ses œuvres liées au contexte historique et culturel au sein duquel elles ont été faites, par leurs recoupements, leurs juxtapositions, nous disent ce qui se passe. Grace à son processus créatif et son medium, l’artiste touche le temps universel. La matière picturale répandue en grande quantité sur la toile est triturée et sa pâte colorée propose comme un équivalent de la chair souffrante. Les textures agitées accrochent différemment la lumière et dans leurs sédimentations irrégulières, les couches de peinture laissent apparaître des affleurements chaotiques où toutes les frontières se brouillent. Toute cette maniera rend compte de l’élan primitif et impulsif de l’artiste qu’il maîtrise ensuite par sa gestuelle contrôlée.
Fred Kleinberg est un vrai peintre baroque : son œuvre s’adresse à la sensibilité, à la perception directe, à la fantaisie, au sentiment, à l’intuition, à la sensualité autant qu’à l’imagination. Il penche plus du côté de Pan que d’Apollon, plus du côté de la forêt que du soleil, ou comme dirait Gérard Garouste « plus du côté Indien que du côté Classique » !Marqué par la liberté, l’indépendance, l’originalité, la singularité, il s’affranchit de toute contrainte, de toute règle et ne craint pas la confusion, le chaos, l’agitation, la turbulence, le mélange des matières, des formes, la fusion du sacré et du profane, le mariage du tragique et du comique, l’exaltation d’un certain panache qui est pour lui simplement la vie. Sa peinture est faite de contrastes, d’antithèses, d’hyperboles ou le grotesque côtoie le sublime, le réel l’irréel, la laideur la beauté. C’est un monde théâtral où tout paraît colossal, extraordinaire, dans un univers particulier où se manifestent les explosions des passions par le mouvement, les gestes rapides, les musculatures étirées et contractées… Comme dans un ballet virevoltant, une danse de Sabbat, le peintre précipite ses personnages sur la toile, les construit à coups d’obliques, de diagonales, gonfle leurs habits du souffle des tempêtes, soulève les flots pour une invitation au voyage, à l’évasion hors du temps et de l’espace. Nouveau Prospéro, merveilleux prestidigiateur de la forme, alchimiste de la matière et de la couleur, Kleinberg connaît les secrets des transmutations… et même dans la souffrance, il nous donne accès au merveilleux.
En quittant l’atelier de l’artiste, je pense particulièrement à mon maître et ami récemment décédé, le peintre Hervé Télémaque, un nom prédestiné quand on évoque l’histoire d’Ulysse. Lui aussi a souvent utilisé dans son œuvre des tentes de camping devenues objets métaphysiques, symboliques, pour signifier l’exil, la précarité, la fragilité de l’être et de l’existence et donner un toit à sa peinture. Chez Kleinberg les tentes perdent un peu de leur poésie mais restent un témoignage bouleversant et un cri d’alarme qui matérialisent l’instabilité, l’incertitude, la détresse. Chaviré par le déracinement, l’immigration, la pauvreté de ceux qui n’ont qu’un faible abri pour affronter le réel de l’Histoire, mais aussi nourri d’espoir, FredKleinberg se pose en sentinelle pour stigmatiser les drames de notre époque. Sa peinture propose un feu d’artifice face aux drames les plus pathétiques, procure une émotion esthétique semblable à un inoubliable air d’opéra mais demeure aussi un vrai acte de combat.
Renaud Faroux
Historien de l’art, commissaire de l’exposition Fred Kleinberg à l’Espace Niemeyer.